Une belle histoire

N'en déplaise aux faiseurs de raccourcis, ce n'est pas parce que ce film est canadien que je l'ai aimé.

C'est un homme et une femme, d'un âge disons mûr.
Ils vivent dans une grande maison de bois au bord d'un lac gelé (car on est en hiver), quelque part en Ontario. Chaque matin, ils attrapent leurs skis de fonds et partent traverser le lac bien emmitouflés. Ils regagnent ensuite leur maison et se font un bout à manger, discutent, lisent...coulent des jours tranquilles entourés de leurs amis et de leur lac. Juste eux deux, sans contrainte, et on aurait envie de croire que ça durerait comme ça jusqu'au dernier souffle.

On ne sait pas trop ce qu'elle a fait de sa vie, lui était professeur à l'université. Il enseignait les mythes du grand nord, ceux de la terre dont elle était originaire, l'Islande. Ils se sont connus bien jeunes. Alors que Fiona avait 18 ans, ils sont partis un jour visiter les Manitoulin Islands. A Tobermory, avant d'embarquer sur le traversier, il faisait un temps de merde et elle a dit en rigolant "do you think it would be fun if we got married?". Il l'a prise au mot, c'était il y a 40 et quelques années.

C'est un beau couple qui a duré dans le temps et qui s'aime encore pour de la vraie. Mais comme tous ces couples qui ont résisté au temps, ils ont aussi colmaté des fêlures. On commence à le comprendre à force que Fiona fasse des allusions à une personne qui semble avoir troublé leur relation. Une ancienne étudiante de Grant. En fait, ce qui est surtout troublant, c'est que quand Fiona en parle, on comprend qu'elle est en pleine confusion sur les échelles de temps. Et puis un jour, elle ne sait plus nommer les objets et range une poêle dans le congélateur. Cette femme si belle et intelligente est en train de s'en aller. On le sait, elle le sait, Grant le sait. Tout est maintenant question de voir comment gérer...

Fiona parvient doucement mais sûrement, à convaincre Grant de la laisser partir. Partir pour bénéficier de soins idoines, certes. Partir avec un aller simple, c'est inévitable...La 2ème partie du film dépeint Grant apprenant à vivre seul, tandis que Fiona sombre dans son monde d'isolement, confinée et surprotégée dans sa maison spécialisée.

Plus loin vers la fin, le sort leur réservera quelques minutes de sursis, où Fiona sera libéré de son Alzheimer. Le temps de se dire au revoir pour de bon, le temps pour Grant d'offrir à sa femme la clé de son bonheur, puisque lui-même n'y peut plus rien. "I never wanted to be away from her" disait-il à l'aide soignante de Fiona. Away from her, c'est le titre du film...

Pas de pathos, pas de mièvrerie. Deux êtres forts individuellement qui l'auront été encore plus à deux. Deux destinées unies qui doivent accepter de ne pas finir ensemble, à une heure de la vie où on n'imagine plus la séparation autrement que par la mort. L'exemple d'une vieillesse qui, maladie incluse, me parait la moins pire des diverses façons de vieillir. Quand je repense à cette dame, l'autre jour, désorientée rue de la Ré devant la meute de moins de 20 ans agglutinée au Starbuck...cette dame avec une 3ème jambe et des gaines sur ses mollets épais comme mes bras, qui avançait péniblement et seule dans cette grande rue. Seule dans son grand âge et diminuée physiquement. Et bien moi, si je devais choisir, je préférerais vivre mes derniers moments de conscience dans un cadre aussi beau et pur que celui de Fiona et Grant. Puis partir dans mes songes, quitte à ne pas revenir...