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MAGMA MENTAL
14 août 2008

L'increvable ligue des INTERNES

Je revois encore ma carte magnétique de l'internat. Avec ma bouille d'enfant dessus, un code barre et une couleur, celle de l'interdiction de sortir.

J'avais 10 ans. Mes parents étaient trop occupés à travailler et divorcer pour surveiller mon entrée au collège, alors ils ont pensé à l'internat. Je croyais que c'était une punition pour les enfants vraiment pas sages ou vraiment nuls à l'école. Pourtant j'avais de bonnes notes et je ne faisais pas d'énormes bêtises (enfin j'avais appris la discrétion du moins). C'était la fin de l'école primaire, il faisait beau. J'avais le droit de rentrer toute seule de l'école et presque à chaque fois, je m'arrêtais chez le glacier pour m'envoyer une boule de chocolat. Ensuite je bâclais mes devoirs (être économe de son temps est la voie vers un sens inné de la productivité) et puis je m'amusais.
Il y avait un collège pas loin de la maison, j'avais toujours cru que j'y partirais. Mais non, le glas avait sonné. Je devais partir à l'autre bout de la ville. A l'époque il n'y avait pas autant de métros et un seul bus pouvait me conduire au collège que mes parents avaient choisi : en 1h de bouchons...
Alors voila, à compter de septembre suivant, j'allais partir. Et peu importe si je n'en avais (vraiment) pas envie.

Quand j'ai mis les pieds là bas la première fois, j'ai eu peur, je peux avouer maintenant. Tout était si grand, si ancien, si solennel, et merde, si catholique surtout ! Aller à une messe pour la rentrée, c'était comme s'il fallait célébrer la fin des vacances, je ne comprenais vraiment pas. Et puis ce furent les 1ères semaines à entrer dans une routine d'indépendance : faire son sac chaque dimanche soir, partir, ne pas revenir jusqu'au vendredi soir. Pendant la semaine, manger des sucreries cachées dans son dortoir et repousser avec dégoût les ragoûts dégueus qu'on nous servait sur des plateaux en inox. Perdre deux kilos chaque semaine et les reprendre chaque WE. Quitter sa maison et vivre ailleurs sans pour autant y habiter.
L'enfant disparaît progressivement pour laisser place à un petit adolescent qui apprend bien vite à se démerder loin de ses parents. Dans la plupart des cas, il ne réintégrera jamais le domicile familial, ce qui revient à quitter le nid avant même la puberté. Il s'habitue à faire son lit chaque matin, à ranger ses affaires, à vivre avec une quantité limitée d'effets personnels et toujours avec un sac à portée de mains, à partager son espace avec d'autres gamins, à jongler avec la discipline imposée, à rechercher sa liberté et à trouver sa place dans la communauté dont il fait désormais partie. Il devient un individu, indépendant de ses racines, il fait son chemin, il coupe le cordon.

Tout cela pourrait être un enfer et la mort anticipée de l'innocence, s'il n'y avait les copains. Car on n'est jamais seul à vivre cette aventure. Rapidement, entre merdeux qui ont envie de s'amuser, la timidité tombe. Les premiers jeux, les premières blagues, les premières conneries ensemble... jusqu'au moment qui scelle l'amitié : les premières punitions ensemble. Quand quelques gamins venus chacun de son propre coin se retrouvent enfermés dans un internat catholique bâti de vieilles pierres, contraints de vivre selon des horaires et des codes imposés...PIRE, contraints de faire leurs devoirs... là se produit l'inévitable : ils se liguent.

Ils développent ensemble des ruses pour passer à travers les mailles du filet et défier les règles imposées. Ils partagent tout : leurs devoirs, leurs punitions, leur bouffe, leurs fringues, leur gel-douche, leurs crayons et calculettes, leurs secrets, leurs craintes, leurs moments de solitude, leurs Nintendo, leurs mercredi après-midi de liberté aussi. Ils petit-déjeunent, déjeunent et dînent ensemble. Ils trichent chaque jour pour avoir le verre (Arcopal) avec le plus petit chiffre et s'éviter la corvée de carafe d'eau pour toute la table. Au goûter, ils partagent leur barre de chocolat avec leur pote qui n'a eu que de la pâte d'amandes car il est comme tout le monde, il préfère le chocolat ! Quand ils abusent un peu en étude, ils se retrouvent en étude supplémentaire le soir et ils en prennent leur parti en faisant des batailles navales avec du papier mâché, sur les grandes cartes de géographie pendues au mur. Quand ils abusent un peu plus, ils sont collés le mercredi après-midi et se marrent tous seuls de devoir recopier pendant 4 heures la phrase "j'obéirai au professeur". Et quand ils abusent vraiment, ils sont carrément collés le samedi matin et errent comme des chiens galeux dans l'école désertée : pas grave, ils se vengent en faisant des lits en portefeuille dans les dortoirs où on les parque pour la nuit !!
La prison devient leur terrain de jeu, ils en connaissent tous les recoins, ils savent où et comment se cacher pour faire leurs conneries, comment aller sur les toits la nuit venue, comment faire croire qu'on dort à un pion pas trop expérimenté, comment donner l'impression qu'on bosse en études alors qu'on a planqué une BD derrière son livre de maths...

Ils grandissent ensemble et se connaissent vraiment. Un jour ou l'autre, leur scolarité se termine. Certains se font virer avant les autres, d'autres redoublent, parfois ils prennent un peu leurs distances pour découvrir d'autres amis. Mais les internes qui ont été seront toujours.
Ce sont des amitiés indéfectibles d'après moi : mes meilleurs amis d'aujourd'hui sont mes amis de l'internat. Quand l'un d'eux appelle, l'autre lui ouvre sa porte. Comme Thibaut m'avait ouvert la sienne quand j'ai débarqué à Bruxelles. Quand l'un se marie, l'autre est son témoin. Quand l'un accueille un enfant dans son foyer, l'autre en sera le parrain ou la marraine. Quand l'un perd un proche, l'autre partage son deuil. Quand l'un rentre quelques jours au bercail, l'autre est invité à la table des parents. Quand l'un planche sur des projets d'avenir, l'autre lui donne son avis et tente de l'aider. Quand l'un déménage, l'autre l'aide à porter les cartons. Quand l'un doute, il en fait part à l'autre avec toute sa confiance. Alors, l'autre l'écoute et lui répond "tu sais, tu as toujours été comme ça". Quand l'un veut faire oublier ses erreurs de jeunesse, l'autre a toujours dans la poche une énormité commise entre la 6ème et la Terminale. Ou une phrase fatale type "je me souviens de tes nattes, alors tu moules" ou "tu veux que je ressorte une photo de ton appareil dentaire ?"

Les co-internes ne sont pas des amis comme les autres. Même quand la distance et le temps les séparent, leur comportement entre eux est toujours influencé par ce qu'ils ont partagé, nourri de leurs souvenirs et de leur langage d'alors.
Que j'aille ici ou ailleurs, que je parte temporairement ou longtemps, je sais que ceux-là sont mon autre famille. Il faut croire que quand on s'est connus nains, fragiles, boutonneux, ignares et inexpérimentés, on est au dessus de tout ?!!

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Commentaires
M
Ulysse, mon cher voisin de classe en 4ème...<br /> Te souviens-tu aussi qu'on mangeait des Yes en cours ? Il y avait les rouges au chocolat noir et les bleus au chocolat au lait. Je crois que tu préférais les bleus et moi les rouges.<br /> <br /> Comme quoi c'est pas mal des fois de se souvenir, non ?
U
j ai bien kiffe ton mot sur l internat ma marie.<br /> Meme si je n y ai pas long feu pour les raisons de sante que tu connais ;-), j ai eu l impression de retrouver une partie de ma vie qui manquait. <br /> tu sais, j ai tellement bouge depuis gamin que j ai l impression que ma vie est eparpillee en petits morceaux sur la mappemonde comme des cendres d un mort sur le gange. <br /> Evidemment, chacun est le seul a vraiment connaitre toute sa vie mais souvent il est assez facile de la reconstituer par 3 ou 4 personnes cles. Pour moi, c est un peu different. <br /> La, tu m as envoye une mechante salve de nostalgie dans la gueule en me peignant nos plus belles annees. avoir 12 ans et emmerder la terre entiere. c est le meilleur age meme si tu te coltines la centrale electrique dans la bouche et une voix de castra qui a fume une cartouche de gauloises brunes. Tu m as rappele cette partie de ma vie que j avais oubliee. en tout cas dont je ne me servais plus comme referentiel et que j avais mis au tiroir des souvenirs qu on ressortira quand on aura accompli la plus grande partie de sa vie.<br /> Merci et merde.
M
c'est sûr, tout le monde ne le vit pas de la même façon. j'ai sûrement eu de la chance de tomber sur les abruti(e)s que tu connais. et même si la discipline me paraissait parfois délirante, ce n'était pas l'armée non plus.<br /> quant au tempérament : une fois passés les 1ers temps où ça te pèse et tu n'en retires rien, tu te retrouves sur une ligne droite où c'est que du bonus. tout est question de tenir bon jusqu'à la ligne droite....
G
tu sais que ça donnerait presque envie d'aller à l'internat ?<br /> ma mère qui a fait la légion d'honneur n'en a pas dit tant de bien...<br /> est-ce à dire qu'il y a ceux qui s'en sortent grandis, et ceux qui garderont uniquement leurs séquelles ?<br /> est-ce qu'il y aurait des tempéraments avec un instinct de survie plus fort ?
MAGMA MENTAL
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