Envole moi...
J'ai couru, et jusqu'à cet après-midi, je courais encore.
Je courais comme si j'avais un rendez-vous, comme si j'étais limite d'arriver en retard.
Je courais avec un sac à l'épaule, chargé de papiers.
Je suis allée à la Poste, et mon usage restreint au strict minimum de ce service donnant peu d'occasions de fréquenter leurs locaux, je m'étonnais de la progression de leur équipement. Comme si j'étais venue acheter un steak, je sélectionne l'option "envois" sur une borne qui me tend en retour le numéro 701. Dans 701 il y a 7, la chance ; 0, la transition ; 1 : le début...
Interprétation fantaisiste des chiffres alors que je n'y connais rien, mais interprétation chargée de mes espoirs. Le temps de découper une photo passeport, de l'agrafer sur un formulaire officiel pour lequel j'ai du m'y reprendre à 10 fois avant de le remplir sans ratures, sans jargon imbitable. Le temps de refaire un tour rapide de cette épaisse liasse de papiers...contrat d'autonomie financière...extrait d'acte de naissance, copies conformes des contrats de travail, des diplômes et des notes attenantes, mon diplôme d'anglais, mon certif de PAO, les pages d'identification de mon passeport, la petite lettre polie d'accompagnement...
3 cm de papiers que je glisse d'une main un peu fébrile dans une grosse enveloppe à soufflets, avant de remplir un bordereau d'envoi par recommandé, de payer le gentil monsieur souriant du guichet, de dire au revoir et de ressortir.
Elle va voyager, mon enveloppe. Demain ou après-demain, elle sera décachetée par quelqu'un à Paris, qui la mettra dans une chemise, parmi d'autres chemises dans une bannette. Quelqu'un d'autre viendra vider la bannette, et ma chemise partira dans un bureau. Pendant 3 à 6 mois, elle ira de main en main. Des gens liront ma vie sur formulaires, évalueront mon parcours, passeront probablement quelques coups de fil à droite à gauche à des personnes que je me suis efforcée de briefer, me convoqueront peut-être à un entretien. Et un jour je l'espère, d'ici 6 mois, la chemise sera tamponnée et on m'enverra mon St Graal : un certificat de sélection. Après quoi il faudra que je passe une visite médicale, demande l'extrait de mon casier judiciaire (fort heureusement blanc comme neige de début de saison) et renseigne quelques informations sur ma famille. Après quoi tout repartira à Paris, pour à nouveau 5 à 9 mois. Et ensuite, si j'ai un peu de chance, on me demandera mon passeport. Je devrai le faire partir dans une enveloppe officielle nommée "la brune", du fait de sa couleur. Et au bout de cette dernière ligne droite, il y aura un visa de séjour permanent.
Elle renferme mon choix de vie, cette enveloppe. J'aimerais pouvoir la suivre, m'immiscer dans la tête des gens qui la dépouilleront pour leur donner envie de me dire oui et de me le dire vite. J'aimerais pouvoir voyager dans le temps, même pour un petit aller-retour présent/futur/présent. Je crois en mes chances, mais l'attente sera pénible.
Elle contenait mon dossier de demande d'immigration au Québec, cette enveloppe. J'ai mis tellement de temps à la préparer, que le jour venu de la poster, j'étais pressée, alors je courais. Je passais entre les gouttes et en sortant de la Poste, il faisait un grand soleil et je marchais d'un pas lent et détendu.
Par les temps qui courent, je crois que j'ai le droit d'y voir un signe...